- Il m'a fallu prendre de l'altitude pour soutirer les secrets de la Réussite.J'aurais préféré qu'elle vienne à moi, mais c'est moi qui ai dû aller vers elle.
Sur l'aire de repos surgit alors une alpiniste. C'est la Réussite. Elle pose son piolet contre la montagne et regarde intensément ce qui lui reste encore à escalader. La journaliste accourt vers elle.
- La Réussite, bonjour et merci d'interrompre votre ascension. Je sais que vous êtes très occupée...
La Réussite tend sa corde sans lui adresser un seul regard.
- Je suis préoccupée.
- Par quoi?
- Par le sommet que je veux atteindre.
- Mais vous venez tout juste d'en dépasser un ! Vous n'avez pas envie de vous asseoir et de contempler le chemin parcouru ?
- Pas le temps. Si je n'avance pas, je recule, et si je recule, c'est la dégringolade.
- Vous ne savez pas ce que vous ratez ! Voir les choses de si haut, ça fait pousser des ailes !
- La Réussite répond sèchement.
- Ce ne sont pas des ailes, ça s'appelle le vertige.
- Ca ne vous monte pas à la tête, toutes ces hauteurs ?
La Réussite inspecte la pierre et se colle à la paroi.
- Y a pas de danger, je ne regarde jamais en bas. Et je tends ma corde comme ça, vers le ciel.
- Qu'est-ce qu'il y a au bout de cette corde ?
- Mon but. C'est lui qui me tient en laisse.
- Je comprends ! C'est facile alors, si c'est votre but qui vous guide. Il vous mène forcément au bon endroit et au bon moment.
La Réussite met son casque.
- " Facile " ? Vous vous moquez de moi ? Il me fait courir, transpirer ! " Il n'y a que dans le dictionnaire que la réussite vient avant le travail. "*
- Pourtant, j'ai entendu dire que la Chance vous a tendu des perches ?
- La chance...c'est peut-être un bon tire-fesse, parfois. Mais vous savez, il vaux mieux avoir les reins solides avant de se faire tirer. Ca vous aide à tenir le coup en cas de choc.
- Auriez-vous un petit conseil pour tous les invertébrés, comme moi, qui n'ont aucune confiance en eux ?
La Réussite, très concentrée, ne se soucie ni du paysage ni de son interlocutrice ; elle commence à escalader la montagne.
- Ne vous trompez pas de carburant et prenez des sucres lents.
- On est l'oins du Fouquet's !
_ Je crois que vous m'avez confondue avec la Gloire. On n'escalade pas les mêmes versants, elle et moi.
- Je la comprends, la Gloire ! Il faut reconnaître que c'est jouissif d'être acclamé après une victoire.
La Réussite parle de plus en plus fort et grimpe de plus en plus haut. Son regard est braqué vers le ciel.
- Tu parle... Quand je vois tous ces empaffés qui l'attendent en bas des pistes alors qu'elle va se manger la banderole d'arrivée ! Je ne cherche pas à briller, moi, je cherche à durer. Et pour durer, faut endurer.
La journaliste essaie tant bien que mal de s'agripper à la corde, mais elle est très maladroite et n'arrive pas à tenir son micro en même temps.
- Attendez-moi ! Parlez-moi de la Renommée, vous ne grimpez jamais à côté d'elle ?
La Réussite s'arrête net en entendant le Mot " Renommée ".
- Surtout pas ! A chaque fois elle débarque avec ses trempettes , ça provoque des avalanches.
- Une dernière question : vous ne m'avez pas parlé de vos racines ?
La Réussite progresse maintenant à une cadence très rapide.
- Vous savez bien que je suis née de l'Echec et d'une Blessure. Poussez-vous, fut que je monte, plus haut,
toujours plus haut !
La journaliste crie.
- Attendez-moi ! Vous allez trop vite pour moi, La Réussite !
La Réussite nest plus qu'un point tout en hait de la montagne. Sa voix n'est plus qu'un écho.
- Oubliez-moi un peu ! Faites du hors-piste ! Et puis arrêtez de me suivre, c'est le meilleur moyen de me faire fuir...
Aussi sec, la journaliste se décourage.
- Oh ! elle est fatigante, cette Réussite ! Je crois que j'ai besoin d'un petit vin chair, moi.
Le soleil se couche, elle est prise d'un grand frisson.
- Hélicoptère ? Hélicoptère ?
